10.03.2011
l´héritage du colonelisme, partie 2
Le plus choquant pour une fille de la République Liberté, Égalité Fraternité est bien évidemment et en premier lieu la discrimination de classe! bouh, quels vilains mots! Quelle affreuse expression! surtout lorsqu'elle va de paire avec la couleur de la peau, et oui, plus on est blanc, plus on est riche et il n'y a aucun noir dans la classe de ma fille...
Le Brésil alphabétise ses couches sociales de A à E. La classe A, la plus riche détient 50% des richesses du pays, c'est ÉNORME. La classe B, 30%, C, environ 10% et , D et E se partagent les miettes.
Les maisons des classes A, B et C d'Uberaba ont toutes une entrée de service et une entrée sociale, et les appartements, un ascenseur social et un ascenseur de service. Une employée de maison ne peut évidemment pas emprunter l'ascenseur social, parce que elle ne le fera pas c'est tout. Et parce que il y a encore des gens aujourd'hui pour lui rappeler qu'elle n'a pas à le faire. Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai encore jamais vu d'employée de maison blanche.
Les mamans qui gravitent dans mon microcosme sont issues des classes A et B. je suis très blanche, classée A, j'ai monté ma petite entreprise qui, même si elle ne casse pas des briques me classe en B, je suis européenne, classée AB quoique je gagne et ma belle famille est classée B, ce qui n'est pas négligeable.
Ces chères mamans que je cotoie ont Toutes des babas (baby sitter à domicile) ET une empregada (employée de maison en charge du ménage et des repas). Certaines rajoutent même une repasseuse et une femme de ménage en plus pour les gros ménages ponctuels.
Alors forcément, à l'heure de parler de littérature, la couleur des sentiments, ça les laisserait de glace, puisque nous sommes en plein dedans. (il faut avoir lu Kathryn Stockett).
La bonne maman noire qui élève leurs enfants et les a élevées elles même a beau avoir 65 ans, elle continue a faire ses 45 heures de travail par semaine et n'a pas intérêt à espérer une retraite.
- "Qui s'occuperait des enfants enfin ma douce Rita??!!"
- "Parce que l'on ne peut évidemment pas faire confiance à n'importe qui, avec les temps qui courent. Toutes les mêmes, un frère drogué, et tu te retrouves ligotée dans ta propre maison et dépossédée en deux deux de tes bijoux et de ton matériel higt tech!"
Évidemment, à l'heure de parler du quotidien, je suis de nouveau un peu embêtée... j'acquiesce bêtement lorsque Amelia me dit qu'elle est épuisée de sa journée et qu'il est bien dur d'être mère... elle a du courir entre le club et le salon de beauté, sa baba n'a pas pu aller cherché le chien chez le toiletteur, il a fallu qu'elle s'y colle, et qui va emmener João à la piscine??? La bonne Rita ne sait pas conduire, ça c'est une évidence, et si on lui colle le 4X4 intérieur cuire d'Amelia dans les mains en plus, alors là, on marche sur la tête, elle qui ne sait même pas faire de vélo!
je laisse le reste pour a partie 3...
partie 4, la religion
to be continued...
Uberaba, ou l'héritage du colonelisme (le pouvoir des colonels) partie 1
Je parle de féodalisme parceque nous en sommes très proches, et que l'héritage dont je vais vous parler de façon complètement subjective me fait penser à une époque bien bien lointaine de la douce Europe.
Selon les dires de l’intelligentsia locale (expatriée à São Paulo ou à Brazilia), six grandes familles gouvernaient Uberaba jusqu'à il y a très peu de temps (20 ans?), la ville en a hérité une structure économique bancale due à sa lenteur d'adaptation aux mouvances économiques récentes (partie une), des habitudes sociales croustillantes (partie 2) et un arriérisme religieux allant de paire avec un déséquilibre étonnant entre population riche et pauvre. (partie 3)
Aujourd'hui, cette ville de 300 000 habitants enregistre les meilleurs taux de croissance tant de population que de PIB du Minas Gerais et du Brésil, enfin, les choses changent, la ville s'ouvre et évolue à une vitesse fulgurante.
Uberaba est une ville riche, creuset de l'agronégoce, elle reçoit chaque année la fameuse Expo Zebu où les grands pontes internationaux de l'élevage bovin posent leur jet privé pour venir acheter aux enchères les dernières innovations en terme d'amélioration de la race bovine (lait ou viande) sous la forme d'ovules, de sperme, ou d'animal. Une vache peut atteindre la somme folle de 200 000 euros, c'est une rencontre passionnante entre la technologie de pointe alliant biochimie et manipulation génétique avec un monde de fermiers millionnaires éduqués sur leurs terres.
L'agronégoce a permis à Uberaba de se doter d'un aéroport, d'une université (UNIUBE) et d'une quantité non négligeable de diplômés qui depuis les années 50 sortent de l'Uniube pour exercer leur métier : avocats, médecins, ingénieurs.
Donc, le panorama est dressé, Uberaba est une ville qui est restée longtemps focalisée sur une seule et unique activité économique, dominée par de riches propriétaires terriens désireux de maintenir un certain statut quo... attention, tout ce que je dirai par la suite pourra être retenu contre moi, mais j'aurais quand même précisé dans cette rapide introduction qu'aujourd'hui, la ville est en plein essors et promet un devenir très positif.
Mais puisque nous parlons d'héritage et de mes états d'âme de française expatriée, laissons libre court à la critique aveugle.
Tout d'abord parce que cette flopée de diplômés, au lieu de s'endormir dans un confort petit bourgeois grossi par la bière et la médiocrité, aurait pu depuis belle lurette voter avec un peu plus d'exigence et se comporter comme des administrés un peu plus scrupuleux des faits et gestes de leurs politiques locaux, qui, disons le, s'en sont mis plein les poches pendant des décennies en toute impunité!
Ensuite parce que ces fameux gros propriétaires terriens auraient pu descendre de leur tour d'argent ces 50 dernières années et voir un eu plus loin que le bout de leur gros nez de richou et penser à leur futur globalisé, mais les diplômés sont là, ou partis, et les gros richous inséminent des vaches et vont se promener en Europe, vivant la belle vie au détriment d'un paquet d'impératifs sociaux de base dans une ville riche : éducation, santé, urbanisme, un triptyque plutôt inexistant dans une économie déséquilibrée.
Je ne développerais pas sur l'éducation parce que j'ai la chance de pouvoir payer les 400 R$ mensuels d'une école privée. Le salaire minimum étant de 545 R$ au Brésil, cela vous donne quand même une petite idée. Et la fameuse UNIUBE dont je parle plus haut est bien évidemment marchande, payante et chère (3000 R$ par mois pour le cours de médecine par exemple)
Parlons de santé. Attention, ce sujet devrait être interdit pour un français, mais parlons en, ne serait-ce que pour rappeler aux français qu'ils sont très très privilégiés dans ce domaine.
Un RDV chez le médecin remboursé par la sécurité sociale brésilienne se fait à l’hôpital ou au "posto de saude", il faut se rendre à l'hôpital la veille et faire la queue toute la nuit pour pouvoir être reçu le jour voulu, et j'ai pu constater personnellement que le posto de saude se trouvait régulièrement en rupture de stock de vaccins... ou de gants...plutôt étonnant lorsque l'on voit les sommes prélevées sur les impôts pour la santé... où va l'argent? La maison du préfet est la plus grande et une des plus belles de la ville.
Si vous ne voulez pas attendre 4 mois pour faire dévitaliser gratuitement une dent par un dentiste spécialiste travaillant dans le public, il vous en coûtera 300 à 500R$! Rajoutez 1500 R$ de protèse, et concluez en le nombre d'édentés à Uberaba sachant qu'en 2000, le capital par tête à Uberaba état de 400R$...
La femme enceinte de rhésus o négatif se souvient également que la fameuse piqûre vitale que l'on vous administre en cas de bébé de rhésus positif m'a coûté la modique somme de 280R$, et n'est pas remboursée. Je n'ose donc pas vous demander d'en conclure ce qu'il advient aux femmes o négatifs qui gagnent le salaire minimum...
Vive la France!
En terme d'urbanisme, c'est une fois de plus la corruption qui défini le mieux le style architecturale de la ville. Des trous dans l'asphalte, commandée pour durer le temps d'un mandat préfectoral, 4 ans, quelques gros chantiers exubérants, privés, grassement payés par des promoteurs sans scrupule les défauts de ce système ultra libérale : d'autres gros chantiers abandonnés depuis des annés en plein centre ville ou en pleine zone résidentielle, de jolies tours brutes de béton n'abritant plus que des pigeons, ceux que le gros promoteur a plumé avec le préfet impuni de l'époque et sa clique de politiciens verreux sont restés en périphérie!
Aucun espace public, ça ne paye pas de nouvelle voiture au préfet le public, de très rares places, vierges, bétonnées ou flanquées de quelques arbres chétifs mal entretenus, le nouveau préfet ne va pas investir dans une place qui porte le nom de son concurrent tout de même!
Et un parc ou deux, abandonnés eux aussi, la petite fleur ponctuelle d'un appel d'offre gagné sans provision.
Pas de transport public, enfin si, mais pas pour les blancs, trop sale, trop inconfortable et trop plein à craquer, et puis, qui prendrait un bus pour aller de la périphérie au centre si tout le monde prend sa voiture pour aller dans le centre et que la périphérie est trop dangereuse? et puis, c'est dangereux le bus. Voilà, la loi d'airain, le minimum pour s'assurer que les pauvres puissent bien aller travailler chez les riches, point.
Et comme les inégalités sont de mise, nous vivons dans des cages. Pas de sécurité dans un état de non droit. Pas de paix sans justice! Alors tout le monde se cache derrière des murs et se protège derrière des grilles. Plus on est riche, plus les murs sont hauts. Uberaba serait une bien jolie ville si elle n'avait pas à cacher ses joyaux. Les architectes sont bons, mais les maisons qu'ils construisent sont entassées derrière des murs d'enceinte gardés par des portiers qui rentreront chez eux en ouvrant des grilles et en passant des sas.
Alors, la solution qu'ils ont trouvé, ces pauvres marginalisés à qui l'on cache la beauté du quotidien? ces riches sur gâtés que l'on prive des plaisirs simples? eh bien ils prient. partie 3
3.19.2011
Avoir 15 ans au Brésil
15 ans, la jeune brésilienne est présentée officiellement à la société lors d’un merveilleux bal
des débutantes.
Engoncée dans son adolescence, la jeune fille en fleur revêtira sa robe de bal, blancheur
virginale, avant-goût du mariage, pour une soirée inoubliable où ses parents recevront en son
honneur ses jeunes amis tout aussi apprêtés, leur famille au grand complet, proches et notables
de la ville.
Il convient de recevoir à la hauteur de son statut. Les dépenses sont colossales et le faste est
de mise.
Notre expérience ici n’est pas des moindre, il s’agit d’un grand propriétaire terrien leader de
l’industrie du soja au cœur d’un des états phare pour ce secteur, Uberaba, Minas Gerais.
La jeune Olivia, troisième et dernière fille de la famille clôturera donc le triptyque des festivités
de 15 ans familiales qui ne coûtent pas moins de R$ 200 par personnes (en parité de pouvoir
d’achat, compter 200!),.
Environ 250 personnes se retrouvent dans les salons de la Maison Blanche, lieu de réception
des plus chics de la ville, les coiffeurs et salons de beauté n’ont pas désempli du samedi, “tenue
sociale complète exigée” conformément à la dernière ligne en lettres anglaise du carton
d’invitation.
A 10h30, une heure après l’heure officielle du début de la réception, les premiers invités se
présentent aux réceptionnistes en smoking, descendent de leurs voitures aux vitres teintées et
tendent négligemment leurs clés aux chauffeurs qui partiront garer les voitures de ces
messieurs.
Défilé de robes longues en taffetas, drapés satinés et joailleries scintillantes, les femmes vont
perchées sur des talons interminables et d’une finesse confondante aux semelles rouges
(Louboutin est donc arrivé jusqu’ici), coiffures travaillées, cheveux lissés ou délicatement ourlés,
de 4 à 65 ans, les convives sont sur leur 31 pour assister à cet anniversaire qui s’annonce aux
dires du tout Uberaba, “une très belle fête”.
La décoration, réalisée par une artiste en vue de Sao Paulo est très élégante; d’énormes
bouquets de roses en centres de table sont habilement éclairés par des spots en hauteur, les
tentures murales aux motifs modernes flanquent d’immenses miroirs aux encadrures bois
patinées, les espaces “lounges”, salons anglais canapé et table basse en bois massif alternent
avec les tables rondes dressées pour le dîner
En marge de ce salon de roses et de lumières tamisées se dressent les buffets…
Le buffet froid propose sushi et canapés aigres-doux, fromages italiens et crêpes dentelle
fourrées au serrano espagnol, tandis que le buffet chaud, un peu plus loin, offre des risotto de
ceps, de morue ou de tomate mozzarella, poêlé á la demande, ou des pommes de terres
fourrées. Les serveurs virevoltent autour des roses pour compléter le festin apportant sur leurs
plateaux argentés des petites terrines de bobo de camarão (plat à base de crevette du
Nordeste) et tartelettes de fondue de poireaux.
D’autres servent les boissons; whisky “importés”, cocktails de tout type, rafraichissements et
mousseux italiens. Autant de breuvages qui petit à petit feront oublier aux adolescents pré
pubères leur acné et la largeur d’épaule de leurs costumes neufs.
Sur la piste aux couleurs disco, les carrés d’acrylique s’illuminent au rythme des talons claqués
par les jeunes filles au son du « baile funk », au fur et à mesure de la nuit, les danses se
déchainent, les filles s’émancipent et les flirts se multiplient dans les coins du salon… Dans les
toilettes, les larmes succèdent aux rires avinés, les adolescentes partent en vrille… les vestes
sont déjà tombées. Vers 2h00 du matin, de jeunes échevelés débitent sans pudeur les surplus
d’alcool consommés sans modération… Bois du Red label, tu seras un homme mon fils !
Vers 3h00 les premiers convives quittent la fête en passant par la table des douceurs (le gâteau
de 5 étages rose et blanc est entouré artistiquement par des myriades de fleurs en papiers
renfermant des chocolats fourrés au confit de maïs, à la praline ou au chocolat amer, les
« brigadeiros », sortes de truffes au lait concentré et petits pots de verre remplis de crème au
chocolat au nom de la fêtée), à la sortie, chacune de ces dames reçoit une paire « d’Havaianas »
roses bonbon percée d’un petit nœud argenté dans un sac en tulle rosé…
La réception s’est terminée après 6h00 au petit matin, j’ai assisté à ma première « festa de 15
anos », Alice au pays des merveilles, exubérance et folie, étrangeté onirique. Pour ma part, à
4h30, je retirais patiemment les 37 épingles à cheveux piquées dans mon chignon « efeito
natural » et m’endormais fatiguée et endolorie d’être restée perchée sur 8 cm de talons avec
mon centre de gravité fortement compromis en ce 6ème mois de grossesse
2.22.2011
chroniques brésiliennes, le Brésil de dedans
On s’imagine le Brésil sous les cocotiers sur un fond coloré de plumes et de paillettes, de longues plages de sable blanc où des corps d’athlètes bronzés taquinent la balle comme des dieux … Mon Brésil est bien différent et vaut la peine d’être conté.
C’est le Brésil de « la roça », le far west sud américain où les cowboys modernes y côtoient les grands producteurs de soja.
Le paysage urbain des quelques villes qui parsèment des milliers de kilomètres de plantations est récent et encore un peu anarchique. Planté d’immeubles et quadrillé de rues grossièrement asphaltées, les grosses Chevrolets américaines y règnent en dictatrices.
Ici point de plage, l’Atlantique est a plus de 800 kilomètres, l’air est humide en été, les orages dantesques alternent avec des chaleurs suffocantes qui font fondre les rares piétons qui s’aventurent au milieu des klaxons. Le commerce de rue cependant est florissant en ces moments de boom économique insufflé par Lula et le grossissement d’une classe sociale qui découvre enfin l’American way of life. On y achète des écrans plasma en 12 fois sans frais, on y finance sa maison et sa voiture avec l’aide de l’ëtat qui s’est fait providence depuis que le pays est devenu le grenier du monde chaque jour plus gourmand. Le soja, le maïs, la canne à sucre et ici surtout, la viande, rapportent gros.
Capitale de l’amélioration de la race bovine pour l’industrie laitière ou carnée, l’agrobusiness est le moteur du triangle mineiro, une région de l'ouest de l'État du Minas Gerais, située entre les rivières rio Grande et rio Paranaíba, qui se rejoignent pour former le rio Paraná.
Point de shorts donc et de chemisettes bariolées, les hommes ici vont en jean, bottes en peau d’autruche et chemise impeccablement repassée. Il n’est pas rare de croiser un stetson pour parfaire l’uniforme du « fazendeiro » en goguette. Celui-ci écluse d’ailleurs des litres de bière le soir au coin du… téléviseur qui hurle les matchs de foot et les nouvelles du pays dans tous les établissement de la ville.
Les balades à la française sont difficiles à trouver, les espaces publics, parcs ou autres petits bois municipaux que mes compatriotes affectionnent pour flâner sur le chemin de l’école n’existent pas. Sécurité oblige, les sorties sont murées, les investissements exclusivement privés et les parcs bétonnés. Dans un pays où les hommes ont lutté pendant des générations pour dominer l’exubérante Nature, il semblerait qu’ils sont parvenus à l’éradiquer totalement.
En marge des fermes usines, dans le cœur des villes satellites des océans de plantation transgéniques, les autochtones sortent donc bien peu, le ronronnement des téléviseurs et des climatiseurs dans les hauteurs des immeubles dressés étouffent le peu d’énergie que le soleil aura laissé au citoyen et sa citoyenneté se répand sur son sofa, commande une pizza et referme le journal.
Attention, ne nous y trompons pas, la vie y est douce cependant. L’hospitalité brésilienne s’enrichie de la simplicité des hommes de la terre qui dans leur bonhommie vous font se sentir bien très vite. En trois générations, un brésilien descendant d’esclave devient ici universitaire . La classe laborieuse a ceci de magique, elle façonne son futur chaque jour à une vitesse que l’Europe ne peut connaître.
L’expérience est encore jeune et la réflexion ne demande qu’à mûrir, il s’agit là d’à priori et de sentiments bruts et premiers qui ne demandent qu’à découvrir plus et mieux un monde bien différent et fort prometteur.
Uberaba, février 2011